COMMIS PAR Maax
En tant que futur cinéaste, je n’en manque pas une pour descendre le monde des jeux vidéos. Non, vraiment, du haut de mes connaissances sur l’Iran de la fin des années 80, je ne peux que rire devant la bêtise que représente Call of Duty 4. Après avoir vécu le bizutage des littéraires (the bullies of fine arts), il faut bien que je me venge quelque part.
Je caricature, bien sûr. Le monde du jeu vidéo, bientôt dans sa quarantaine, semblait stagner dans son évolution artistique. Semblait, dis-je bien, parce que dans les cinq dernières années, plusieurs jeux m'ont redonné foi en ce médium. Un de ceux-ci, The Path, conçu par Tale of Tales, m’a particulièrement plu.
L’idée est simple: on choisit une des sœurs d’une famille et on a la mission d’apporter le panier de nourriture à la grand-mère, celle-ci habitant une maison au bout d’un chemin tracé d'avance. Si on respecte cette règle, c’est à dire que qu'on suit la voie, le jeu nous accuse de ne pas avoir réellement fait une recherche profonde. On décide alors d’explorer la forêt au delà du chemin, on trouve des objets qui déclenchent des émotions particulières, et finalement, on trouve ce que le jeu appelle "le loup". Métaphorique, ce loup est souvent représenté par un traumatisme ou une découverte profonde par l'une des filles. Après avoir trouvé le loup, la fille rentre chez la grand-mère, sous la pluie. Ensuite... eh bien je vous dévoile rien. Je suis comme ca. Et ouais.
L’idée c’est que la jeu n’a pas de monstre, pas de fusils, pas de mission. Le but est simplement de découvrir la nature profonde de ces filles et de ces femmes. Tous les sujets sont bien compris, explorés, et la poésie qui en ressort est souvent fine, parfois très émouvante. Par exemple, les questions que la plus jeune de ces filles se pose sur la mort nous rappelle notre enfance, alors que les déchirements d'une jeune femme adulte nous replongent dans certains films de Bergman avec leur traitement très complet de la sexualité. Je me demande d'ailleurs si ce n'est pas l'une des premières fois qu'un jeu vidéo traite de cette question de façon si approfondie.
Au-delà du texte, l’esthétique est réellement unique. Tale of Tales réussit à créer un univers bien particulier grâce au grain et aux couleurs, aux échelles de plans et à une lumière que peu de cinéastes arrivent à maitriser. La musique, bien que répétitive, arrive à nous plonger à la fois dans le bonheur d’être entouré de gens qu’on aime et dans la peur d’être seuls face a nos sentiments. Le contrôle du jeu peut paraître pénible, mais qui a dit qu’un contrôle devrait être intuitif en tout temps? Se perdre dans la forêt n’est pas une situation intuitive, le contrôle de soi dans une telle situation est certainement difficile. Au final, cette impossibilité d’un contrôle facile prend son sens. C’est un pari risqué que Tale of Tales gagne haut la main.
The Path est le début d’une grande aventure, d’un jeu vidéo différent. C’est une excellente entrée dans une nouvelle ère, plus artistique, d’un médium trop longtemps contrôlé par des Electronic Arts et Activivision, sans arts, sans vision. Heureusement, il n'est plus seul en son genre.
Excellente entrevue par un ami de la Diagonale, Louis Filliatrault.
Site web de la compagnie.
2 commentaires:
Bon survol d'un objet encore très pertinent, et merci pour le lien : )
Pour les intéressés, je conseille aussi Fatale, sorti fin 2009.
The Path comporte certains problèmes difficiles à négliger, dont un que tu suggères quand tu écris que le jeu nous "accuse" de ne pas avoir exploré convenablement. Quand on est familier avec les développeurs, on reconnaît là une trace de la condescendance qui a tendance à les suivre partout dans leur discours, et qui rend beaucoup de gens hostiles à leur projet. Ajoute à ça les nombreuses maladresses techniques, la qualité (selon moi) inégale de l'écriture et le ouvertement "bizarre" du programme, et tu as la recette idéale pour créer des sceptiques.
Cela dit, je suis tout à fait d'accord avec toi concernant les forces de l'ouvrage. Comme tu dis, les éléments esthétiques forgent une atmosphère soutenue et très dense (tu synthétises d'ailleurs très bien l'effet de la musique). Plus encore, je crois qu'ils ont réussi à systématiser l'errance et l'impression de "tâtonnement" de manière très authentique, jusque dans le contrôle comme tu soulignes. S'il faut retenir quelque chose de The Path, c'est la cohérence folle entre ses différents aspects qui participent d'une même intention artistique, voire le fait d'avoir une intention artistique tout court dans un milieu où cette notion même est généralement perçue avec mépris (et parfois avec raison).
À savoir si le travail de ToT a fait des petits et s'il est vraiment l'exemple d'une voie à suivre pour le jeu vidéo... c'est discutable. Certainement personne n'a eu le culot de confronter le médium aussi explicitement qu'eux, ni l'audace de le faire en s'appuyant sur des oeuvres indépendantes aussi lourdes et dispendieuses, et c'est une contribution qui a de la valeur en soi. Mais je pense que, sans baisser les bras totalement, il faut accepter que la plupart des développeurs se "contentent" de ne pas ébranler les structures, et cultiver une appréciation honnête pour les expériences ludiques en tant que telles. Plutôt que d'attendre que les créateurs de jeux se conforment à une vision de l'art qui n'est peut-être même pas désirable ou appropriée au médium, ça me semble plus constructif de chercher le bon dans les canons relativement établis du game design, et voir ce qui peut être appliqué à une vision un peu plus excentrique. Parce qu'on risque de trouver le temps long sinon.
Comme pour la photo et le cinéma, on va tout simplement se retrouver avec une industrie à deux vitesse. Une vision artistique et une vision 'entertainment', et vu que rien n'est blanc ou noir, beaucoup de jeux vont avoir les deux en même temps ...Prince of Persia qui parle de Zoroastrisme dans des décors surréel, par exemple.
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