Commis par La Fille
Après avoir exploré les œuvres de Grégory Chatonsky et de Jhave, la semaine dernière, il me restait donc à explorer celles de Martine Neddam, de Mark Amerika et, finalement, celle de Craighead et Thomson. Ce à quoi je me suis affairée.
Martine Neddam: Turkmenbashi, mon amour
À mon plus grand bonheur, l’œuvre met en scène Mouchette, fameux personnage virtuel développé par Martine Neddam il y a déjà presque 15 ans, personnage qui aura fait coulé bien de l'encre et du code depuis sa création. C'est qu'on l'aime, cette gamine aux ailes d'ange et à l'humour un peu déjanté!
Cette fois-ci, Mouchette tombe follement amoureuse du grand Turkmenbashi, ancien dictateur du Turkménistan. Afin d'illustrer cet rencontre entre le dictateur et la petite fille morbide du Web, Neddam puise à même une lettre d'amour dédiée à Turkmenbashi (anciennement connu sous le nom de Saparmyrat Ataýewiç Nyýazow).
L’œuvre est donc constituée d'une animation dans laquelle l'avatar de Mouchette est superposée à une série de photographies prises à Achgabat représentant les effigies les plus marquantes de la dictature (monuments, statues, drapeau, etc.). S'établit alors un dialogue entre Mouchette et Turkmenbashi (et ses multiples représentations). Or, on se rend rapidement compte que l'affection de Mouchette s'adresse moins à l'homme qu'à ce qu'il représente. Et que cet amour est davantage idolâtrie qu'amour véritable.
Heureusement, Mouchette étant le personnage qu'elle est, l’œuvre de Neddam réussit à traiter avec humour d'une des plus grandes oppressions planétaires. Une ambiance sonore minimaliste finit de donner le ton à cette œuvre lente, contemplative, mais puissante. Petit point négatif, à mon sens : l'internaute ne possède aucun pouvoir de navigation. L'animation s'enchaîne en boucle sans qu'il puisse l'accélérer ou l'arrêter. Et comme elle est assez longue, il est assez facile de décrocher (de changer d'onglet et d'aller voir si de nouvelles alertes Facebook seraient apparues, par exemple), et ainsi perdre des morceaux de Turkmenbashi, mon amour. Alors, soyez attentifs, l’œuvre en vaut le coup!
Bien que l'oeuvre de Mark Amerika ait été réalisée en 2007, puis présentée pour la première fois dans son ensemble le 31 janvier 2009 au Norwood art club à New York et bien que, depuis ce temps, elle voyage de par le monde, il serait erroné de laisser entendre que Mark Amerika présente du réchauffé à la septième Biennale de Montréal puisque la version présentée est écourtée ET inédite.
Immobilité est un film tourné exclusivement à l'aide d'un téléphone cellulaire qui explore l’esthétique du glitch informatique et du Video Jockey (VJ). L'artiste décrit son film comme «the world's first feature-length mobile phone art film», définition à laquelle il ajoute le qualificatif de «foreign film»[1], répondant à une citation d'Atom Egoyan: «Every film is a foreign film».[2]
Immobilité (ainsi que d'autres oeuvre d'Amerika, d'ailleurs!) se veut une remise en question des codes et des conventions de l'industrie cinématographique tel qu'on la connaît. L'artiste qui s'exclut volontairement de toute cette business - il n'inscrit pas le film dans les festivals, il n'envoie pas de DVD aux distributeurs, les acteurs sont des amis, etc. - n'en voudrait pas moins retrouver son nom sur IMDB ou voir son film rayonner hors du contexte d'exposition muséale.[3] Pour lui, c'est ainsi que se changeront les mentalités et que l'on assistera à un tournant significatif dans ce domaine de l'art.
Dans la vidéo suivante, Mark Amerika discute de la version - plus longue - de l'oeuvre telle qu'elle est présentée sur le site Web du Tate museum, dans leur programme Intermedia.
Thomson & Craighead: Template Cinema
Tout comme pour Mark Amerika, l'oeuvre proposée par le duo Thomson & Craighead pour la Biennale est la reprise d'un projet en ligne de cinéma aléatoire datant de 2004, mais qui ne roulait plus depuis un moment. Repimpée pour l'occasion, l'oeuvre est constituée d'une série de trois films dont le contenu est repéré en temps réel sur Internet.
Et comment ça marche, ça, des films tournés en temps réel? Et sur Internet qui plus est? En fait, les films se créent «à partir d'un code aléatoire et d'éléments trouvés sur le Web, dont des Webcams en direct, ce qui engendre une expérience nouvelle à chaque visionnement».[3]
Trois films, donc:
Chacun mêle texte, image et son de façon aléatoire. Et - au risque de me répéter - en temps réel. Car ce point est fondamental à l'oeuvre. En effet, peut-on encore parler de films si ceux-ci se déroulent non seulement en temps réel, mais aussi dans la réalité? Je dois dire que j'ai eu un petit coup de coeur pour cette oeuvre, que je rencontrais pour la première fois. J'aime la position de voyeur à laquelle elle oblige l'internaute. Pour quelques minutes, on flirte avec une variable inconnue - qu'elle soit lieu, personne, ambiance sonore - dans une contemporanéité déroutante. Les séquences de film sont suffisamment courtes pour que la rencontre avec cette inconnue si furtive qu'on a envi de recharger la page immédiatement, en espérant en savoir plus.
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Voilà donc pour les oeuvres présentées dans la section des arts électroniques de la Biennale. Je rappelle que l'événement se déroulera jusqu'au 31 mai. N'hésitez pas à aller faire un tour, même pour la section des arts électroniques, car, selon moi, la pièce qui leur est consacrée est l'une des plus réussies de la Biennale.
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