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23 septembre 2011

Plus jamais, j'vous jure, plus jamais comme hier soir

Commis par La Fille


La gueule de bois.
Le hangover.
La tête dans le cul.
Le lendemain de brosse/de veille.
Le j'ai-mal-à-la-face.
Le je-ne-toucherai-plus-jamais-à-une-goutte-d'alcool-de-ma-sainte-vie.

On le connaît. On l'a vu. On l'a vécu. On l'a subi. On l'a détesté. Comme le jour où on s'est retrouvé coincé entre son vieil oncle libidineux et sa belle-mère au dîner de Noël, on a juré qu'on ne nous y reprendra pas.

Et pourtant, inévitablement, on y retombe. Les lendemains de journées trop arrosées reviennent toujours au galop.

Pourtant, si nous connaissons ces lendemains sous toutes leurs coutures, nous ne semblons pas nous formaliser lorsqu'ils nous sont montrés, via le cinéma, le vidéoclip ou la littérature, avec un certain décalage.

Car qu'en est-il de l'imaginaire du hangover?

Je veux comprendre. Les représentations de la gueule de bois sont-elles à la hauteur de la réalité?

Pensons d'abord (et évidemment) au blockbuster de l'été 2009: The Hangover.



On nous fait comprendre l'ampleur de la gueule de bois des personnages en superposant une série d'évènements aussi incongrus qu'inexpliqués: un bébé et un tigre dans la chambre d'hôtel, un ami porté disparu, un chinois nu dans le coffre d'une voiture volée, MIKE TYSON, etc. Mais qu'en est-il de l'état physique des personnages? Je rappelle qu'ils se remettent d'un double hangover: drogue ET alcool.

Ils n'ont pas vraiment l'air de souffrir. Ils sont suffisamment fonctionnels pour se battre, pour être en cavale toute la nuit, pour faire d'autres conneries...

Bref, le film est excellent de désopilance, mais je ne crois pas un moment à la gueule de bois de ses actants.

Sinon, quand on pense à hangover, on pense forcément au groupe Tryo et à leur chanson Désolé pour hier soir.


Ici, les gars de Tryo ont opté pour la même voie que le réalisateur de The Hangover. On nous présente Manu, qui a visiblement trop bu la nuit dernière et qui, par les indices de ses amis, tente de se rappeller les évènements de la veille. Encore une fois, la figure du hangover s'illustre par la demi-amnésie de celui ayant abusé de la boisson et par sa quête de la vérité: qu'ai-je fais hier, comment vais-je me faire pardonner, quelles seront les conséquences?

Et encore une fois, à aucun moment, on nous montre la détresse physique possible du personnage. On nous apprend même qu'il amorce la journée en se réveillant comme une fleur (bon, d'accord, «marguerite dans le macadam», mais pfffff).

Pourquoi? Peut-être qu'il n'est pas très comique (et donc très vendeur) que de montrer un corps défraîchi, fatiguée, nauséeux. Pourtant, nos corps ne sont pas très glorieux lorsque nous avons abusé des bonnes choses.

Heureusement, Krusty le Clown, de la série les Simpsons, vient briser cette tendance à occulter le corps.

L'état de décrépitude avancée dans lequel il se trouve lorsqu'il a trop bu la veille est déjà plus convaincant. Il crache, il tousse, il puse. On imagine parfaitement son haleine de fond de barrique.

Il est laid, il n'appelle aucune sympathie. On a envie de lui dire qu'il l'a bien cherché et que c'est bien fait pour lui.

Mais alors, qui saura me satisfaire? Qui, QUI?

Charles Bukowski.

Oh Charles.

Tu te situes à quintessence de la représentation du hangover. Tu en est le maître incontesté.

"reste que j'avais la gorge sèche et qu'il m'était impossible de me rincer la dalle; plus l'heure tournait, plus je devenais dingue; j'étais hors de moi, je schlinguais et mes couilles étaient en train de se liquéfier." p. 14

"le soleil m'a fait le même effet que le gyrophare d'une voiture de flics. [...] j'ai roulé jusqu'à chez moi. j'étais en eau. et je me mordais les lèvres pour ne pas m'endormir." p. 32

"je me suis redressé et reloqué, j'ai peigné mes cheveux, et lavé mes dents, mais j'étais trop vaseux pour avaler quoi que ce soir, d'ailleurs j'ai gerb en me lavant les dents, je suis sorti. [...] le soleil m'a donné un coup de fouet, on doit se satisfaire de ce que l'on trouve. " p. 58

Et attention... le coup de grâce:

"il y avait des traces de vomi sur sa poitrine, trop mal en point pour au dernier moment se pencher en avant. Ne jamais mélanger les amphètes avec le whisky. [...] il se remit à vomir, puis retomba dans son apathie. [...] ça sonnait creux à l'intérieur, il était vide et hébété. [...] il fallait qu'il sorte de son lit. Ce fut un calvaire. Vomissant tout le long du couloir. Les spasmes lui arrachant un mélange de sang et de bile d'un vert presque jaune - bouffées de chaleur et frissons, frissons et bouffées de chaleur." p. 102-106. (Tous tirés de Journal d'un vieux dégueulasse)

Et ça continue comme ça, page après page, livre après livre.

Enfin.

La gueule de bois dans toute sa gloire.

Aucun artifice extérieur, aucun recours à des péripéties abracadabrantes. Juste du sale, du laid, du puant, du médiocre.

Ça, c'est d'la figure du lendemain de veille.

Parce que quand la veille revient au galop, on se sent davantage comme si un satellite nous était tombé sur la gueule que d'humeur à aller cueillir des pâquerettes.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble que Kerouac a des mentions de hangover, mais je m'en rappelle pas très bien et je tiens pas de blogue alors j'irai pas vérifier. Faire un commentaire impertinent: check!
Sinon, côté québécois, les personnages de Rafaële Germain sont en lendemain de veille quasi perpétuel, mais ça semble aussi glamorisé, à mon souvenir.

La Fille a dit…

Tiens, tiens, Raphaëlle Germain! Je ne m'en serais jamais douté!

En y songeant, on doit retrouver des traces de hangover dans les livres de Marie-Sissi Labrèche, également. Et, si mon souvenir est bon, ça ne doit pas être trop glorieux.

rachel a dit…

Moi aussi j'ai d'abord pensé à Raphaëlle Germain.

Ensuite, je me suis demandé où en était la recherche universitaire en littérature sur le hangover. En tapant "hangover" sur le site de Thèses Canada, j'ai juste trouvé cette thèse de doc: "Framing Dionysus: the gutter- dandy in Western culture from Diogenes to Lou Reed". Ça a l'air pas pire.

La Fille a dit…

J'ai fait un parcours rapide avec cet article, mais en fait, je me dis que c'est fait quelque chose à pousser davantage, autant dans le ludique que dans le scientifique!
Come on, t'imagines, soutenir une thèse sur l'imaginaire de la gueule de bois?

Daphné D. a dit…

Chaque matin est un lendemain de veille, pour les personnages de Germain. On s'en lasse. Et puis d'abord, moi j'y crois pas. Une fille avec autant de capacité et de tolérance, à mon avis, elles auraient le foie retraité à 30 ans, ses héroïnes. Bon. J'avoue que je compare à moi...bon, c'est correct, j'suis jalouse, ok?! J'aimerais avoir la gueule de bois que j'ai certains matins, mais pour les bonnes raisons pis des vraies brosses, pas pour 3 bières et 1/2! Tête dans le cul ou pas, yen a qui peuvent en profiter pour la peine ;)
(J'encourage le projet de thèse, by the way)