Il paraît que, côté musées, ce sont les vieux trucs égyptiens qu'il faut aller voir, à Berlin. Eh bien, je serais bien embêtée d'avoir à vous le confirmer, car j'ai préféré aller me perdre pendant des heures dans une ancienne gare plutôt que d'aller observer les deux profils de Néfertiti. Et je suis tombée sur une expo assez particulière de par les éléments qu'elle mariait: champignons, urine de rennes, canaris et potion d'immortalité. Vous êtes intrigués? Je l'étais également.
Connaissez-vous la légende du Soma? Mentionné à de nombreuses reprises dans le Rig-Veda, le plus ancien des quatre textes fondateurs de la religion Hindou, le Soma serait une boisson miraculeuse apportant santé, vitalité, victoire, et serait convoitée tant par les hommes que par les Dieux. Avec les années, nombreuses ont été les hypothèses formulées quant aux ingrédients possibles dudit nectar.
En 1968, Gordon R. Wasson, un banquier de Wallstreet ayant une passion pour la mycologie (il n'y a pas de sotte passion), pose l'hypothèse que l'amanite tue-mouche (Amanita muscaria) serait l'ingrédient principal du Soma. Ses recherches l'amènent à penser que le champignon, probablement mélangé à du lait et à d'autres substances durant le rituel, devrait être consommé cru.
Carsten Höller, artiste allemand né à Bruxelles et oeuvrant présentement à Stockholm, a lui-aussi émis son hypothèse, en s'inspirant des travaux de Wasson. Il faut savoir que Höller n'arrive pas à sortir la science de ses créations: ethnologie, biologie et art ne sont toujours qu'une seule et même pratique. Ainsi, la nomenclature et les procédures de manipulation scientifique constituent le fil conducteur de son processus créatif. Il crée comme un chercheur manipule, étudie, essaie.
Avec l'installation SOMA, Höller reprend les conclusions de Wasson afin de poser les siennes. Le livre de Wasson suggère que le champignon serait absorbé avec l'urine d'un animal ou d'un humain ayant eux-mêmes consommés de l'amanite. Le banquier conclut ensuite que l'urine est probablement celle de rennes, grâce à deux observations: le champignon est une part active de leur diète et leur migration est intrinsèquement liée à celle des peuples nomades de Sibérie, peuples dont traite justement le Rig-Veda.
Sur le schéma de la méthode scientifique (je vous rappelle vos cours de physique, de chimie et autres: problématique, hypothèse, expérimentation, interprétation des résultats, conclusion), Höller met en place une oeuvre d'art en trois dimensions, une peinture vivante, dans laquelle se meuvent 12 rennes, 24 canaris, 8 souris et 2 mouches. Rigoureusement, il divise son "laboratoire" en deux: d'un côté, le monde normal; de l'autre, le monde soumis au soma. SOMA invite le visiteur à prendre part à l'expérience puisqu'il est possible d'observer les nombreux pots d'urine étiquetés (et autres résultats; miam), de passer d'un côté et de l'autre du laboratoire afin de noter les différences entre les deux environnements et, pour les plus braves, il est possible de passer une nuit au musée, dans un luxueux lit au draps de satins noirs, posé sur une plateforme surélevée en plein coeur de l'oeuvre.
L'oeuvre surprend. L'odeur de ferme prend au nez des qu'on met les pieds au musée, la galerie est anormalement emplie d'enfants venus voir les rennes et la mine blasée de l'employé occupé à changer le foin des bêtes détonne avec l'air sérieux des gardes de sécurité. On oublie l'espace muséal, on entre en pleine expérience scientifique, sous les larges voûtes de l'ancienne Hamburger Banhof. Höller parvient à marier l'observation aiguisée et attentive du scientifique à celle, contemplative, "sans objet", de la réception esthétique. SOMA propose donc une réflexion fondamentale: quelle est la place de la science face au mythe, davantage lorsque cette science se fait art?
Notons que la galerie de la Hamburger Banhof présente également d'intéressantes expositions permanentes présentant les oeuvres d'artistes centraux dans le monde des Nouveaux Medias et du Net.art, tels que Nam June Paik, Joseph Beuys (deux membres du groupe Fluxus), Cory Arcangel, etc. J'y reviendrai, n'ayez crainte!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire