Vous entendez le terme Neen Art pour la première fois. Vous ne comprenez pas. Vous vous dites "Teen Art?", "Clean Art?", "Knee Art?" N'ayez crainte. Vous n'êtes pas ignares. Le vocable "neen" ne se trouve pas dans votre dictionnaire préféré, que celui-ci soit français, anglais ou finnois. Il est normal qu'aucun référent ne vous vienne en tête à la première occurrence.
Le mot "neen" coûte cher. En 2000, Miltos Manetas, artiste et peintre grec, en paie l'invention au cabinet de marketing Lexicon*, à qui il avait demandé de créer des noms pour décrire un courant artistique bien particulier. Parmi plus de deux cents propositions du groupe, Manetas retient Neen et Telic.
Emprunté à la linguistique, Telic signifie "quelque chose dirigé ou tendant vers un but, une destination" et provient du grec Telos qui signifie "la fin" ou "le but". Neen, résultat d'un programme informatique de Lexicon, signifie quant à lui "exactement maintenant, pas une seconde plus tard"[1]. Ainsi, par une heureuse coïncidence, l'informatique a su trouver - et sans aucune implication humaine - un palindrome pour nommer un de ses symptômes.
Quel est-il? Le Neen Art, bien sûr. Et lui, en quoi consiste-t-il? J'y suis. Manetas, ayant le sentiment que l'appellation "art contemporain" était obsolète et ne saurait répondre aux réalités artistiques des nouveaux médias, part à la recherche d'un nouveau nom. La suite, vous la connaissez maintenant: Lexicon, Telic, Neen, Neen Art.
Sur son site, l'artiste résume en trois points la teneur d'une oeuvre Neen:
1. Une oeuvre basée sur le Web;
2. Une oeuvre sentimentale faite par ordinateur ou référant à l'informatique;
3. Une oeuvre autogénérée créée par une intelligence artificielle ou un réseau informatique. [2]
Davantage, les artistes s'inscrivant dans le courant Neen (et se nommant des Neenstars - ! - ) clament découler d'un parfait mélange entre le Screen Art (donc: art de l'écran) et le non-art (dont le nom parle pour lui-même).
Dans leur manifeste (pas de regroupement artistique sans manifeste), les Neenstars s'autoproclament "a still undefined generation of visual artists." Ils continuent: "Our official theories about reality - quantum physics, etc. - proved that the taste of our life is the taste of a simulation. Machines help us feel comfortable with this condition: they stimulate the simulation we call Nature." Et dans une certaine autodérision, ils concluent: "Neenstars are public personas. If fantasy brought surrealists to the ridiculous and revolution drove communists to failure, it will be curious to observe where computing will bring Neen." (Anciennement disponible sur le site officiel du mouvement, Neen.org, qui n'est malheureusement plus en ligne, le manifeste intégral se retrouve toutefois ici)
Je vous sens frémir d'impatience. Vous vous dites: "Allez, La Fille, ça suffit la théorie, montre-nous des oeuvres!" Eh bien, vous devrez patienter, mes amateurs d'art en herbe, car ce sera pour une autre chronique. Vous avez encore du chemin à faire avant d'être jeté dans l'arène de l'art-contemporain-du-Web. Persévérez dans votre apprentissage, écoutez ce reportage, assez complet, sur le Neen Art et ses principales Neenstars (et allez voir la belle gueule de Manetas, avec ses cheveux bleachés et son accent grec) et peut-être que vendredi prochain, vous mériterez d'aller, à mes côtés, faire joujou avec les diverses oeuvres Neen qui peuplent le Web.
* Pour l'anecdote, Lexicon est une compagnie de marketing située en Californie à qui l'on doit également les labels "Powerbook", "Embassy Suites", "Compaq" et "Pentium". Manetas joue dans la ligue des grands.
5 commentaires:
Comme quoi, c'est pas parce qu'on utilise un logiciel informatique qu'on n'arrive pas à un nom aussi ridicule que si on avait employé le bon vieux dictionnaire, comme les Dada.
Bien hâte de voir les oeuvres, cependant, mais ça augure toujours mal quand les gens commencent par se donner un nom avant toute chose :P
Il faut comprendre que les artistes oeuvraient avant le nom. Manetas n'a fait que dépenser de l'argent pour les regrouper sous une bannière commune (si tu me permets ce raccourci).
À mon sens, le Neen Art est assez ludique. Manetas (et les autres) ne me semble pas se prendre au sérieux (voir le moment où il traite des biennales, à la fin du vidéo) et les oeuvres en témoignent. D'ailleurs, les puristes du Web n'y voient rien d'artistique... à leur grande perte, selon moi!
La suite la semaine prochaine... à voir ce que La Tâche pensera de ces oeuvres!
«Faire du neen, c'est comme prendre un caillou ou tuer un Indien.»
Neen, prononcer "nééne" c'est aussi "Non". Non à l'art contemporain, alors?
Tournure intéressante des évènements, je dirais! Ça colle assez avec la motivation première de Manetas. Non à l'art contemporain, trouvons maintenant un "nouveau" terme. Que voulez-vous, il faut de tout pour faire un monde (artistique)
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