Alors, j'ai acheté ce livre, ça s'appelle La passion des livres, à ne pas confondre avec la passion du Christ, c'est écrit par Jérôme Duhamel et, en gros, c'est une compilation de citations d'écrivains qui jasent et jasent de littérature. Il y a des bijoux, là-dedans, d'autres trucs qui me font vomir, et d'autres qui me laissent indifférent.
Ça m'a donné une idée pour une série.
En gros, une fois de temps en temps, je pige au hasard une citation et je vous en fait un petit commentaire de Tache, je vous énonce une posture que j'érige avec ou contre cette citation, on parle un peu et on oublie tout le lendemain. Ça vous tente? (NDLR: merci de ne pas répondre sincèrement à cette question)
Alors plongeons, cette semaine, avec une citation de Guillaume Apollinaire, célèbre poète français du début du siècle et, notons-le, beau bonhomme.
"Ordonner le chaos, voilà la création."
Alors que Apollinaire a certainement influencé bien plus que des écrivains (on lui attribue notamment une grande influence sur le cubisme, il était l'ami de Pablo), je vais m'en tenir à ce que je connais, c'est à dire l'écriture.
Alors, "Ordonner le chaos, voilà la création." Qu'est-ce que j'en pense?
D'abord, qu'est-ce que le chaos?
Ici, je fais intervenir Louis-Ferdinand Céline qui, je vous préviens, va surplomber la plupart des articles de cette série comme un oiseau qui s'apprête à te chier dessus. Céline a dit: "Au commencement était l'émotion."
Je crois que c'est ça, le chaos. L'émotion. Celle qui fait en sorte que vous grogniez, que vous hurliez, que vous grinciez des dents, que vous serriez les poings, celle qui fait en sorte qu'un psychologue ou un ami bien intentionné, devant vos larmes et vos cris de rage, vous dise quelque chose comme "Aweille, c'est correct, fait sortir le méchant, le gros."
Le méchant est sorti... c'était Jafar!!! |
Mais ça ne se passe pas ainsi. La plupart du temps, ça ne se passe pas ainsi parce que vous n'avez pas la discipline pour écrire. Neuf fois sur dix, disons. Mais je ne m'attarderai pas à ça, c'est une autre paire de manche. Disons que vous réussissez à écrire, avec vos émotions, vous avez quelque chose à dire, vous allez le dire. Vous vous relisez et c'est extrêmement mauvais. Ça ne lève pas. Vous vous emmerdez à vous relire et, à bien y penser, vous vous êtes emmerdé en l'écrivant, votre truc.
Pourquoi?
Le langage, le foutu langage. Vous vous heurtez à lui, toujours, les mots sur le papier ne reflètent pas bien votre pensée. Oh, ça, pour l'ordonner, le langage, il vous ordonne ça comme personne. Il a été créé pour ça, le langage, avec sa grammaire, sa syntaxe, sa ponctuation, pour que votre pensez soit la plus claire possible, et elle l'est. C'est écrit noir sur blanc: "VOICI CE QUE J'AI À DIRE."
Mais il faut se rendre à l'évidence, de la façon dont vous l'avez écrit, ce que vous avez à dire est plate en crisse à lire.
C'est là qu'Apollinaire a été un fourbu coquin. Il n'a pas dit comment il fallait l'organiser, son chaos, son émotion, dans sa citation. (NDLR: Je sauterai par dessus le fait qu'il a passé l'ensemble de sa carrière littéraire à répondre à cette question.)
L'émotion, c'est fougueux, ça fait mal, ça rend heureux, ça vous crinque ou ça vous aplatit et vous, nous, on voudrait mettre ça dans des mots? Est-ce qu'il y a quelque chose de plus plate que des mots?
Pour reprendre une image de Céline, l'émotion, c'est un cheval qui galope. Les mots, au naturel, ils vont au trot, et ça c'est par une bonne journée. Habituellement, ils peinent à avancer, la langue sortie, encombrés comme ils le sont par le poids d'une académie entière.
La solution? Le faire galoper, ce foutu langage. Le faire ramer, galoper, le rapprocher le plus possible de l'émotion en l'éloignant de son apparence première : une construction humaine utilisée principalement afin de communiquer.
Comment on fait? Aucune idée. Ça fait depuis l'invention du cinéma que les écrivains de toutes sortes essaient de lui trouver une utilité, au langage, depuis qu'il est plus le maître incontesté du racontage d'histoires. Ça fait plus d'un siècle que des avant gardes, des post-modernes, des surréalistes, des symbolistes, des farceurs, des facteurs, des dada, des bons, des pas bons, des romanciers, des poètes, des penseurs, essaient de trouver une façon de l'organiser, ce foutu langage, pour le rapprocher de l'émotion.
Il y a un travail énorme à faire, c'est certain. Il faut travailler, travailler, travailler. Pour rendre le langage émotif. Tâche difficile. Mais votre façon de faire est aussi bonne que la mienne, probablement meilleure. À condition de comprendre que l'émotion dans le langage ne va pas de soi.
C'est-ti pas beau, un cheval qui galope librement?
(musique folklorique inclue)
4 commentaires:
te remercie pour les chest caché de Alexandre. Nos lectrices seront charmées.
Merci La Fille, je l'avais manqué, ma journée en est infiniment plus lumineuse. Je crois que j'aprécie tout particulièrement les mots que tu écris dans tes extraits vidéos. (Qui n'a jamais rêvé de savoir l'orthographe de Eééyiii?)
C'est un plaisir. Apprends, de cette expérience, qu'il faut toujours (mais toujours) cliquer sur les liens.
Pour le plaisir: "Personne, sauf Stella, le peintre de New York, dans sa prime jeunesse à Paris, ne pouvait réussir ce que Guillaume réussissait à faire grâce à son génie italien: il se moquait de ses hôtes, il se moquait de leurs invités, il se moquait de leur cuisine, et il les obligeait à se mettre en quatre de plus en plus pour lui plaire." Stein, Autobiographie d'Alice Tolkas, p. 107.
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