La Diagonale a déménagé ! Trouvez-nous sur

12 juin 2011

Contre la femme-faire-valoir

Commis par Maxouel

L’article de Guillaume, à propos des frasques de Berlusconi, m’a rappelé un troublant documentaire de Lorella Zanardo : Le corps des femmes. Un film rigoureux, implacable, qui m’a rempli d’une grosse colère : celle d’être, moi, homme occidental hétérosexuel, le public cible – et donc en partie le responsable – d’un imaginaire de la femme complètement aliéné. Une colère qui m’accompagne tous les jours.

On fonce dans le tas !
Partout où je vais, je suis accompagné de jeunes filles languissantes qui me vendent des chaussures et des jeans. Je ne suis pas à Las Vegas, je suis dans le métro de Montréal. Le pire, ce sont les pubs de bière. Parce que la cible, jeune homme amateur de houblon, c’est encore moi : un imbécile immature qui rêve de passer une fin de semaine au Camp Bud, où plein de filles engagées pour leur silhouette minauderont en me regardant jouer à des sports de vrai gars.


Je suis fatigué de la femme-faire-valoir, qu’on ajoute comme une décoration. La femme qui ne pense pas, ne se fâche pas. L’objet de désir par excellence. Elle danse dans les vidéos clips, elle se rase les jambes en souriant. Elle est à peu près toujours pareille. Toujours belle et heureuse.

Le pire, c’est que la bande dessinée, art qui m’intéresse s’il en est un, est parmi les plus désolants lorsqu’il s’agit de représenter les femmes. Même mes dessinateurs favoris (je pense ici à Greg, Franquin, Gotlib) tombent dans le cliché du fil de fer aux appâts bondissants. Chez d'autres, comme Dupuy et Berberian, c'est insidieux. Les femmes expressives et caractérielles sont généralement des mères, des vielles femmes, bref, des femmes non désirables. Les jolies filles, elles? Toutes pareilles. Sans regard.

Extraits de Monsieur Jean, de Dupuy et Berberian
Je ne me fâcherais pas si je ne constatais pas les ravages masculins de cette stérilisation généralisée. Combien de gars considèrent-ils le rapport Seins x Hanches / Taille comme un critère de beauté absolu? Combien m’ont-ils affirmé qu’ils trouvaient «dégoûtant» qu’une fille ne se rase pas? Ceux qui prétendent que les jambes et les aisselles poilues annulent spontanément la «féminité» (comment annuler une telle chose, d’ailleurs?) ont-ils déjà vu des filles poilues, à poil ou les deux? Ces gars ont-ils réfléchi à l’énergie qu’investissent certaines femmes pour préserver cette fameuse «féminité», à coup de rasage, d’épilation, de maquillage, de coiffage – de botox, de silicone?

Et ceux qui se moquent de la courageuse qui a jeté son rasoir... Pour des poils, j'en viendrais aux mains.

Une norme pour une autre?

L’idée n’est pas de censurer. Je n’aurais rien contre les poupounes photoshoppées si elles ne formaient pas la norme absolue en matière d’esthétique, si elles ne me rappelaient pas sans cesse, partout – dans le métro, sur la route, dans le journal, à l’école – que je dois désirer comme tout le monde.

C’est le triste monde des pastilles de goût. Partout, l’aromatique et charnue règne, balance ses assommants tanins, masque tous les autres parfums. Où sont-elles, où sont-ils, ces goûteurs passionnés qui traquent les notes de terre, de cuir, de banane et de violette? Qui cherchent avec la bouche, les yeux fermés? Qui confondent rouge et blanc, et en rient?

This is no country for œnologues.


Mais que faire ?

Difficile de changer le programme à la télé. Par contre, une affiche de métro, c’est à portée de main. Les montréalais d’entre vous auront sûrement déjà aperçu un de ces autocollants.

Personnellement, je ne raffole pas du slogan «sale pub sexiste», qui sonne un peu enragé. Je lui ai longtemps cherché une alternative («insulte à mon intelligence», «combien pour la fille?», etc.) mais ce n’était pas aussi punché. Quoi qu’il en soit, vous pouvez vous en procurer auprès d’assos étudiantes membres de l’ASSÉ (il y en a à l’UQAM).

Finalement, je m’en voudrais de ne pas mentionner la merveilleuse initiative du collectif Artung, Ceci n’est pas une pub. En une journée, ils ont accompli la tâche colossale de remplacer 200 publicités de rues par des toiles d’artistes!

Si, un jour, il faut qu’on sorte de l’imaginaire normé et débile que nourrissent la majorité des publicités, ça commencera par la reconquête de l’espace public.

14 commentaires:

zviane a dit…

quand je lis des articles de même, je me réconcilie avec le genre humain. Merci, man.

Eric B. a dit…

Le propos général de ton article tombe sous le sens.

Par contre, j'oserais dire que le fait que tu utilises ces vieilles références côté bande dessinée dénote un zeste de malhonnêteté ;) La production actuelle en bande dessinée offre toutes sortes de figures féminines aussi variées que bien senties.

BDNf a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
BDNf a dit…

Ce qui m'a davantage marqué dans les derniers mois est un retour à des pubs plus subtiles et insidieuses où la femme est présentée comme une emmerdeuse et une empêcheuse de tourner en rond. Surtout dans des pubs de chars.

1-Pub de camion dont j'oublie le détail, mais qui tourne autour de l'idée qu'ici, y a que de vrais hommes (pas de flafla, pas de décoration, pas de guedis, etc.).

2-Le type, assis dans sa voiture, rêve qu'il a une femme et un bébé. Se réveille soulagé de n'avoir qu'une blonde (qui conduit). Se reréveille pour s'apercevoir que tout ça était un cauchemar et qu'il est bien seul comme un grand avec sa bagnole qu'il admire de son appart de célibataire.

3-Celle d'un type qui a enfin le loisir de choisir ce qu'il veut, ici une voiture. Ce qui est bien. Cependant, les trois occasions présentées qui "scrapent" sa vie concernent des filles. J'ai oublié la première, mais la deuxième est quand il hérite du vélo de sa soeur et la troisième lorsqu'il va au bal avec une fille qui ne correspond pas aux attentes.

4-Les pubs de la Cage aux Sports ou le mec s'emmerde avec sa fiancée alors qu'il aurait tellement plus de fun au resto-bar avec ses chums.

Etc.

Concernant les stickers "Sale pub sexiste", je ne trouve pas le message trop fort. Cependant, je trouve parfois troublant de les trouver sur des pubs qui ne le sont pas, même en usant de beaucoup d'imagination. Ça sape un peu le message. Mais je comprends qu'on ne peut pas vraiment non plus contrôler leur distribution et application.

maxouel a dit…

Zviane : De rien, man. euh.

Eric : C'est vrai que mes références datent (sauf Dupuy et Berberian), et tu as bien raison de dire que les choses changent! N'empêche, je trouve que ça change moins qu'ailleurs. Il suffit de jeter un œil sur les mags plus populaires comme Fluide glacial ou Bodoï pour s'en convaincre. Idem pour beaucoup de mangas.
Il y a comme une omniprésence de la femme-fantasme aux proportions surréalistes. Surtout dans les BDs d'humour, comme si la femme caricaturée DEVAIT être sexy. Alors que l'homme peut être tout et n'importe quoi.

BDNf : Allo !
Le problème, c'est que les autocollants restent parfois sur les panneaux après le changement de pub... ce qui crée des superpositions étranges.

La Fille a dit…

BDNf : Tous des exemples alarmants, je suis plus que d'accord.

Je rajouterais - en contrepartie et pour mes collègues masculins - les publicités (papier seulement, car les pubs télé sont assez efficaces, je dirais) de Old Spice.

"Pour que ton homme sente l'homme, le vrai".

Ça sent quoi un vrai homme? Si mon homme n'a pas envie de sentir le bois, la virilité, les muscles, peut-il quand même mériter de vivre?

La Tache a dit…

Pas sentir le vrai homme c'est fif.

...

wait.

Visiteuse a dit…

Le point de vue d'une (autre)fille:
J'ai lu, et vu, l'article ainsi que le reportage, et comme à chaque fois qu'on met en question l'identité de la femme, je me remet à ma place.
Maintenant, rentrer dans l'âge adulte, ce n'est plus une question de maturité, mais bien d'apparence.
Plus tu as de gros seins, plus tu es une "grande fille". Plus tu dévoile de le peau, moins tu es gamine.
Maintenant, on passe par la sexualité pour grandir.

Je me retrouve à raccourcir mes jupes, à augmenter mon décolleté...
Et là, je reçois ma claque: je l'avais cherché, me diras t’ont. Je me retrouve à chaque fois à sombrer dans le même discours: vieillis-toi, deviens femme.

Et ainsi, à tous les trois mois, je dois faire une introspective pour vérifier si j'ai encore une personnalité ou si j'ai finalement sombré dans la masse.
Dur,dur,d'avoir une individualité ces temps-ci.

Bonne chance à vous, (et attention, petit mot de groupie) j'adore ce blog, vous êtes vraiment inspirants! (et ici un petit smiley pour montrer mon agréable sourire :)
À toute!

BDNf a dit…

@maxouel

Euh, oui, allo! Désolé de mon manque de politesse!

Concernant les autocollants, je dois admettre que je me sens un peu honteux et niais de ne pas y avoir pensé... Par chance que je ne me suis pas inscrit à "Génial!".

@La Tache

Ça dépend s'il s'agit d'un c.o.d. ou d'un c.c.

@La Fille

C'est vrai que plusieurs messages publicitaires essaient de renforcer une certaine image de l'homme (à laquelle je pense peu correspondre, d'ailleurs). Mais il y en a beaucoup moins qui dénigrent le genre masculin en son entièreté. Qu'on ne s'y trompe pas : il y en a (en fait, il y en avait davantage je dirais il y a 5-10 ans). Mais elles sont moins nombreuses et si, plus jeune, je me sentais ridiculisé, j'ai compris en vieillissant que le contexte socio-historique est important dans ces cas. C'est vrai que de présenter les hommes comme trop bêtes pour comprendre comment changer le rouleau de papier hygiénique ou trop stupides pour boire du jus de légumes (ou pas assez mature puisqu'il agit comme un enfant) peut être insultant. Mais c'est le même principe que représenter Bernard Landry ou Barack Obama en chimpanzé. Même si devrait pouvoir (ou non) faire les deux, les derniers siècles l'empêchent. Et quand je regarde la façon dont on s'adresse à vous... Souvent, le ton est la pire insulte. Qu'il s'agisse de pubs pour des serviettes sanitaires, rasoirs, crèmes (je pense que ce sont les pires) ou Boutique TVA, on vous prend vraiment pour des imbéciles ignares et incultes.

La Fille a dit…

@BDNf

Je n'irai certainement pas contester ça. Je suis tout à fait d'accord. L'équité des sexes, du côté de l'insulte à l'intelligence, n'est sûrement pas atteinte en publicité.

Et ça... s'est sans entrer dans la question des symboles phalliques autres éjaculations - à peine - subtiles au visage de jolies blondasses dans les pub de bières, chocolat, soupe, jus, etc.

Nous sommes imbéciles, ignares, incultes ET réceptacles de la semence supérieure mâle.

Ok. Je m'emporte.

Mais à peine.

BDNf a dit…

Si l'on vous considère comme des réceptacles, il est normal que l'on vous prenne pour des cruches.

Bon, ok, comme disent les Français : je sors.

Marin Gouin a dit…

Max: Je te passerai Nausicäa et les films de Miyazaki que je possède, ça peut te réconcilier avec les japonais et la femme ;)

Pour ce qui est de la pub, je crois qu'il faut se rappeler que comme la culture pop elle cherche toujours le plus petit dénominateur commun afin de ratisser le plus large possible.

Tout ce qui est grand est toujours le plus lent à évoluer.

Entre temps, on assiste à une réalisation des hommes de leur propre position par rapport au genre. Ce qui donne ce type d'article et Mad Men (M'enfin pour ceux qui ont écouté la série et ne font pas que glorifier les années50).

BDNf : LOL

La Fille a dit…

@BDNf:

Je dis comme l'autre: LOL. Pis solide, à par de t'ça.

BDNf a dit…

Vous me rassurez! J'avais peur d'être accusé de participer à la mononclisation de l'humour...