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30 août 2011

Le travail d'écriture ou, la grandeur de San-Antonio

De retour au Québec pour deux semaines, histoire de célébrer l'union de deux amis à la vie, à la mort, quelle est la première chose que j'ai faite en posant les pieds en sol Montréalais? Bon, oui, je suis allé au St-Hubert, et je ne vous parlerai pas de ça aujourd'hui. (Et je n'ai pas reçu de cachet de St-Hubert que je donnerai à une oeuvre de charité sur fond noir, non, si je recevais un cachet de St-Hubert, je le donnerais à l'oeuvre de moi, merci.)

Deuxième chose que j'ai faite, alors? J'ai couru à ma librairie favorite (Mona Lisait, sur St-Denis, m'acheter quatre San-Antonio, parce que ma réserve en Saskatchewan s'épuisait. Avec le temps, les gens qui me côtoient réalisent que mon auteur fétiche est Louis-Ferdinand Céline, mais ceux qui me connaissent vraiment savent que j'ai un faible tout aussi disproportionné pour Frédéric Dard, mieux connu sous son pseudonyme de San-Antonio, qui est également le nom du protagoniste de la série.

Alors, quels sont ces livres qui pourraient me faire avouer les trouver aussi satisfaisants que ceux d'un auteur reconnu par la critique et par les universitaires du monde entier?

Les San-Antonio, qui s'étendent sur 250 romans, ont été vendus à plus de 200 millions d'exemplaires dans la francophonie. Un inspecteur de police y raconte lui-même ses aventures et celles de ses alliés. Rien à signaler jusqu'ici. La particularité première de cette série, c'est la langue dans laquelle elle a été écrite. L'auteur a effectué un travail de moine sur la langue et chaque page est un trésor de grossièreté, de vulgarité, de jeux de mots et de cauchemars infinis pour n'importe quel partisan de l'académie française. L'argot y est utilisé comme un art et chaque page renferme au moins un bijou d'humour et d'esprit.



Lire un San-Antonio, c'est une expérience littéraire tout à fait phénoménale, mais, en prime, c'est amusant. Parce que les enquêtes sont bien amenées (baaah, un peu tirées par les cheveux, souvent rocambolesques, mais ça fait partie du charme), parce que les personnages qui accompagnent le commissaire sont exquis (Bérurier le normand amateur de camemberts puants et au pénis long de 41.5 centimètres (et ça s'allonge avec les romans), Pinaud, le débris ambulant, ou encore toutes les femmes qui s'éprennent de Sana (c'est son surnom) l'espace de quelques pages), parce que l'auteur ne se gène pas pour envoyer maintes flèches à ses détracteurs, et pour bien d'autres raisons.

Bérurier, lisant

Mais, et je le répète, le premier plaisir se situe au niveau de la lecture, des calembours, des blagues, du travail acharné avec et contre la langue qui rend les romans si faciles à lire, mais également tellement bourrés de surprises qu'une deuxième lecture peut être faite simplement pour recenser ce qu'on n'avait pas vu la première fois.

San-Antonio, c'est James Bond, mais beaucoup plus drôle, beaucoup mieux écrits c'est James Bond, mais dans les mains d'un maniaque de littérature, d'humour et d'argot. Honnêtement, je n'écris pas cet article pour mes amis en littérature, mais bien pour tous mes amis qui ne lisent pas beaucoup, ou qui lisent un roman policier ici et là. Faites-moi plaisir et allez vous trouver un San-Antonio dans une boutique de livres usagés. Vous allez vous amuser tout en découvrant une langue riche, mais pas d'une façon convenue, un peu plate. Une langue riche de ses écarts, riche de son style, riche de sa maîtrise du dérapage et de la pirouette. 


Mais par lequel des 250 romans commencer? Sérénade pour une souris défunte n'est pas mal, Bérurier au sérail non plus, Des clientes pour la morgue est le premier roman où apparaît Bérurier, personnage clé et favori des fans. Mais honnêtement, prenez n'importe lequel, ils sont tous très bons.
Et pour terminer, je vous laisse avec un extrait de l'un des films qui a été tiré du phénomène San-Antonio. Extrait tout à fait médiocre d'un film tout aussi mauvais qui prouve que les romans qui ont pour fonction principale de se jouer de la langue sont très difficilement adaptables au cinéma, et c'est tant mieux. Nous autres pauvres amoureux de la littérature et du jeu langagier devons bien avoir quelques exclusivités que les amants du 7e art ne peuvent s'approprier...


À lire aussi: 


Incipit de Sérénade pour une souris défunte, histoire de se donner le goût:

Chapitre premier
Où il est question d'un coup de volant, d'un coup de manivelle, d'un cou cravaté de chanvre et d'un coup fourré

Le bonhome a un regard comme deux oeufs sur le plat. Il est petit avec des cheveux gris et il a le teint d'un homme qui s'est nourri exclusivement de yogourt sa vie durant.
Il sanglote doucement sur le buvard du chef et ses larmes forment des étoiles roses.
Au moment où j'annonce mes quatre-vingt-dix kilogrammes dans la carrée, le chef me fait une petite grimace embêtée. 
Des mecs qui chialent, c'est pas ce qui manque dans les locaux de la grande turne. Et c'est pas non plus ce qui nous contriste. En général, un mec qui commence à se répandre chez les flics, c'est un mec qui a fait une couennerie et qui se prépare à jouer la grande scène du trois aux jurés...
Le chef murmure: - San-Antonio, je vous présente M. Rolle, un de mes amis.
J'en suis baba. Le boss n'a pas l'habitude de présenter ses aminches au personnel; et je n'avais jamais pensé que, le jour où il le ferait, le pote en question serait en train de se liquéfier.
- Très honoré, je murmure, avec la voix d'un homme qui présenterait une collection d'aspirateurs à un escargot.
L'homme redresse sa bouille de supervégétarien. Il me tend une paluche molle comme une livre et demie de foie de veau...  

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